A 52 ans, l’ancien numéro un européen, n’en a pas fini avec la compétition et après une excellente saison 2024, il ambitionne de reprendre son titre l’année prochaine détenu par le redoutable Emanuel VonDran.
La découverte du cornhole
Tout a commencé pour Bruno en 2016. A l’occasion d’un festival de théâtre de rue à Parthenay, quelques planches étaient mises à disposition pour découvrir le cornhole. Dans cette région adepte du jeu du palet, lancer des sacs de maïs à la place des palets en fonte, c’était une petite révolution mais qui a immédiatement séduit Bruno qui décide sur le champ de confectionner des planches et des sacs pour se lancer à fond dans la pratique. Il ira même jusqu’à réaliser plus d’une centaine de sacs en prévision de l’organisation de tournois qui ne verront finalement jamais le jour, le COVID ayant décidé de compliquer les choses.
Des tournois, il en existait en effet très peu à cette époque. Mais il y en avait un à Parthenay, tout près de chez Bruno qui a fortement contribué à la découverte du cornhole dans la région. Chaque année depuis 9 ans, durant le festival de jeux du FLIP en juillet, l’association Woopy on-off organise un grand tournoi nocturne, réunissant plus de cent participants, pour la plupart des festivaliers venant de toute la France. L’édition de 2017, l’une des toutes premières, sera, comme par hasard, remportée par la paire Bruno et son fils, Clarence. Un premier trophée qui en appellera d’autres pour ce compétiteur-né formé à l’école ultra physique du badminton.
Deux ans plus tard, toujours durant le tournoi du FLIP, une rencontre décisive se produira avec un duo de copains adeptes du paintball, Mathieu Rivault et David Péridy. Tous les trois se retrouveront en finale du tournoi, et scelleront ce soir-là sans le savoir encore l’avènement d’une équipe appelée à briller dans toute l’Europe. « R2B Paintball » devint alors « R2B Cornhole » avec le succès qu’on lui connaît.
Confinement et tournois virtuels
La pandémie de 2020 et la difficulté de rassembler une poignée de joueurs passionnés dispersés dans toute l’Europe va contraindre les pratiquants à trouver une solution pour lancer des sacs sans se déplacer. Grâce à la plateforme Cornhole Europa lancée par un couple d’Américains installés en Allemagne, Morgan et Aaron Fielder, une communauté va se créer autour de tournois virtuels. Filmés en live sur les réseaux sociaux, des joueuses et joueurs d’Allemagne, de France ou de Scandinavie vont se défier en tentant de marquer le plus de points possibles sur une série de dix lancés de quatre sacs. A ce petit jeu, Bruno, David et Mathieu se distinguent rapidement.
Sur un tournoi virtuel espagnol notamment, Bruno immortalisera son record en l’imprimant sur ses sacs et ses planches, 195 points en 20 rounds, un record européen à l’époque.
Il n’en fallait pas plus pour que les Américains de l’ACL commencent à s’intéresser sérieusement au potentiel de ses petits français pas si ridicules. Après une sélection drastique, toujours en matchs virtuels, qui passait notamment par la victoire sur un ghost 9 (un adversaire fictif qui marquerait systématiquement 9 points à chaque manche), Bruno, comme toujours accompagné par David et Mathieu, gagna son premier maillot de joueur pro remis par Todd Kisicki, représentant de l’American Cornhole League à l’international.
Cluny, le premier rassemblement du cornhole européen
Fin 2020, Axel Bourdin décide de rassembler le petit monde du cornhole français en créant la Fédération Française de Cornhole. Le point d’orgue de la première année d’existence de la FFCH sera l’organisation d’un tournoi international durant l’été 2021 dans le cadre prestigieux du haras de Cluny. Pour la première fois, des joueurs de toute la France, d’Allemagne et de Suisse qui ne se connaissaient que par écran interposé vont enfin s’affronter en chair et en os. Une fois de plus Bruno montera sur le podium, accompagné de ses acolytes du R2B.
En 2022, à Rotterdam va se dérouler la toute première compétition organisée par l’ACL et son représentant européen, Ton de Vries. Pour la première fois, un tournoi des nations verra s’affronter les Etats-Unis et plusieurs équipes nationales européennes dont la France. Une première sélection pour Bruno qui manque de peu avec ses partenaires de renverser les Américains. Ces derniers sauront retenir la leçon et par la suite prendront beaucoup plus au sérieux la compétition en alignant dorénavant la fine fleur du cornhole US… La coupe du monde WCO était née.
« Il faut absolument jouer, jouer, jouer. »
Pour en arriver là, le talent ne suffit pas, il faut s’entraîner, beaucoup, souvent, seul ou avec ses partenaires de R2B. « On commence à 18 h, on finit à minuit » et attention, « Le double, faut éviter, il faut faire du simple. Il faut absolument jouer, jouer, jouer. » Le secret du champion, son petit avantage c’est que, même après une période de pause, son niveau ne baisse pas. « C’est comme le vélo, si je lance 8 sacs, je ne vais pas en mettre 5 à côté, même en n’étant pas trop concentré. Quand la compétition arrive, là tu te concentres un peu plus et tu es encore plus performant ».
La meilleure préparation pour les grandes rencontres filmées contre des adversaires d’envergure, c’est le duel en live contre un ghost. Apprendre à maîtriser le trac qui monte subitement lorsque l’on déclenche la vidéo pour se filmer en train de lancer des sacs seul face à son téléphone, réussir à dompter ses émotions, c’est la condition pour résister à la pression de la compétition de haut niveau où les matchs se gagnent au mental.
Après avoir facilement battu les ghosts 18, 19 puis 20 à son premier essai (10 rounds de 8 sacs), il lui a fallu plus d’un an pour vaincre le ghost 21. « C’est une tuerie ça, c’est un truc de fou. Enfin, pour devenir fou, il n’y a pas mieux. Ghost 21, c’est quoi ? Il faut faire 22 points. 22 points, c’est quoi ? C’est un PPR à 11, tout le temps ».
Un accomplissement ? Pas tout-à-fait, car Bruno n’est pas le seul à avoir réussi cet exploit en Europe. Un peu avant lui, Mathieu Rivault avait déjà franchi la barre du ghost 21. Maintenant, tous les deux ont le regard porté sur la prochaine marche. Qui des deux compères réussira le premier à se payer le ghost 22 ? Le duel est déjà lancé et il est particulièrement indécis.
« Tous les ans, je bats un Américain, c’est la tradition. »
Ce mental à toute épreuve n’aura pourtant pas suffit à Bruno et ses coéquipiers de l’équipe de France lors de la dernière coupe du monde à Trèves en septembre dernier. Alors qu’ils n’avaient perdu aucun de leurs matchs précédents, ils ont subi une déroute expéditive face à l’ogre américain. Le haut niveau, les caméras, le public, c’était trop pour les Français, pour certains, encore un peu trop inexpérimentés. Heureusement la page sera vite tournée puisqu’à l’abri des regards, les Bleus vont disposer facilement des Suédois pour remporter la médaille de bronze.
Une occasion manquée pour Bruno d’ajouter un nouvel Américain à son tableau de chasse, pourtant déjà bien fourni. « Tous les ans, c’est comme ça. Tous les ans, je bats un Américain, c’est la tradition. » Ça a commencé à Rotterdam en 2022 avec Ben Brown, puis Storm Hogg, Jimmy Youmans (en double à Charlety, lors d’une partie remarquable qui lui valu le surnom de Mr Airmail après avoir réussi trois airmails consécutifs face à Youmans qui n’arrivait pas à se dépêtrer de ses sacs à l’ancienne à face de velours, hérités de son partenaire du moment), Shawn Farrell et enfin Hunter Thorne à Trèves. La série a bien failli se poursuivre au cours d’un match mémorable finalement perdu de peu contre Logan Chamberlain. « Quand tu es dans ton match, tu ne sais pas trop ce que tu fais. Quand j’ai revu le match télévisé, je me suis aperçu que lorsque on était à 15 – 15, j’avais mes 12 points et avant qu’il lance son dernier sac, il en avait que 5. Donc en fait, s’il avait raté son push, ce qui aurait pu arriver, j’aurais pu gagner. Mais il a mis son push et il a rentré tous ses sacs… » Ce round magistral a fait le tour des réseaux sociaux. Bruno a impressionné les commentateurs américains par son airmail réussi sans une seconde d’hésitation. « je réfléchis, mais j’attends pas. Parce que si tu attends, c’est mort, c’est de la spontanéité là, sinon c’est fini. »
La spontanéité n’aura pas suffi en finale du Sweet Sixteen, réunissant les 16 meilleurs joueurs européens de l’année, ce même week-end à Trèves. Son adversaire, Roman Elsner, a réussi un match parfait et n’a laissé aucune chance à Bruno qui ne s’attendait pas à une telle revanche du Slovène alors que la veille encore, Bruno lui avait infligé une cuisante défaite en Blind Draw.
« Moi, il faut que ça glisse tout seul. »
Après tant de succès, notre vétéran du cornhole a-t-il encore de nouvelles ambitions, les moyens de progresser techniquement ? Pas évident quand l’âge et la pratique intensive du badminton entraînent des « problèmes d’articulation [qui] arrivent à tous les étages, notamment les poignets, les épaules, les chevilles et la hanche. » Et pourtant il continue de travailler sans relâche pour corriger ses petits défauts de geste, de posture. « Mon lancer devient de plus en plus à plat mais comme je suis un ancien du gaz, que j’ai pas trop de patates et pas trop de force dans les bras, moi, il faut que ça glisse tout seul. Je ne veux pas m’amuser à forcer parce que là on se rend compte qu’on commence à avoir mal au bras. Et faire des rolls, ça demande un petit effort, faire des push également. Donc je pense que le roll ne sera pas pour tout de suite pour moi, c’est trop physique. »
Ceci dit, Bruno n’a pas dit son dernier mot : « j’ai trouvé un nouveau geste qui marche plutôt pas mal. Ça pourrait me permettre aussi de faire des pushes parce que le sac arrive à plat avec un peu de vitesse sans trop forcer, donc ça c’est une option. » Tout ça dans quel but ? Récupérer son titre de champion d’Europe l’année prochaine bien sûr ! Et, pour mettre toutes les chances de son côté, quoi de mieux que de faire équipe désormais avec le numéro 1 français, Mathieu Rivault ?